Beyrouth, 2 ans après : témoignages de deux pompiers loirétains qui ont aidé leurs homologues libanais

04 août 2022

Voilà deux ans, jour pour jour, qu'ont eu lieu deux violentes explosions à Beyrouth dans le quartier du port, faisant plus de deux cents morts et six mille cinq cents blessés. Le souvenir est encore dans toutes les mémoires. Deux pompiers loirétains, membres de PUI, ONG française, sont partis aider, dès le 7 août 2020, leurs collègues libanais. Ils en sont revenus changés. Témoignages.

Témoignage de deux pompiers loirétains de retour de Beyrouth -Panneau

« Cela fait un an que Sandrine et moi avons adhéré à l’ONG Pompiers de l’urgence internationale (PUI). Elle regroupe des pompiers, médecins, infirmiers, civils qui œuvrent pour le secours à personnes dans le cadre d’une catastrophe naturelle ou explosion, en France et à l’étranger. Avec, en plus, la capacité de produire de l’eau potable », explique Éric Fornal, pompier professionnel. « Nous n’étions encore jamais partis. Un sms nous a informés qu’on devait se tenir prêts. Un autre a validé notre départ. Nous étions une vingtaine : deux équipes cynotechniques, un team médical avec médecins et infirmiers et deux équipes Usar (recherche et sauvetage en milieu urbain). Après quelques déboires à l’arrivée, nous avons rejoint le site de la caserne des sapeurs-pompiers de Beyrouth. Située à l’épicentre de l’explosion, elle a été endommagée. Nous savions qu’aucun collègue présent ce 4 août n’avait survécu. Notre mission : retrouver leurs corps et déblayer la caserne. Tout avait été soufflé, y compris les véhicules », complète Sandrine Taupin, sapeur-pompier volontaire.

Mission

Témoignage de deux pompiers loirétains de retour de Beyrouth -Deux sapeurs-pompiers enlacés

Deux pompiers libanais devant les silos où ils ont perdu leurs camarades et confrères

 

 

 

« Avant de partir, nous avons été briefés en géopolitique, culture et religion afin de ne pas commettre d’impair. Alors, quand nous retrouvions des corps, nous n’avions pas le droit de les toucher. C’étaient nos collègues libanais qui s’en chargeaient. » Même si leur tâche : retrouver les corps était difficile sur le plan moral, elle était essentielle. « Sur le plan humain, c’est très important afin que les survivants fassent leur deuil et puissent avancer dans leur vie. C’est un pan humain qui prenait là toute son importance. C’était différent des autres missions. Cela nous a fait un peu ressentir ce que les pompiers libanais ont ressenti. À notre arrivée, on pensait aider les vivants, faire du secours à la personne, inspecter les bâtiments... »

Impressions

Témoignage de deux pompiers loirétains de retour de Beyrouth -Portrait de Sandrine

Sandrine au milieu des décombres

Sandrine et Éric ont été impressionnés par la population, de tous les âges, qui les aidait avec juste des balais. Ensemble, ils ont nettoyé le plus gros. « Cette solidarité était vraiment étonnante et extraordinaire ! » Les beyrouthins ont apporté chaque jour à manger aux pompiers français. Grâce à leur aide, ils ont bénéficié d’électricité et d’eau potable : « Un vrai luxe ! »

Éric et Sandrine, pris dans l’action, n’ont pas subi de choc psychologique. Ils ont très peu dormi et ont eu le sentiment de « sortir de leur zone de confort tout en utilisant leur compétences pour aider d’autres personnes ». De plus, des liens noués grâce à la forte cohésion d’équipe perdurent encore aujourd’hui entre la vingtaine de sapeurs-pompiers.

Sandrine et Éric, pompiers tous deux au centre Orléans nord, se considèrent comme « reconnaissants d’avoir pu vivre cette expérience très riche émotionnellement. Nous sommes heureux de l’avoir fait ! » Ils ont appris à prendre du recul, à relativiser. « C’était très dur de rentrer », confie Éric, ému avant de rajouter que c’était « une belle mission ».

Témoignage de deux pompiers loirétains de retour de Beyrouth - Ruines

 

 

 

 

Depuis leur retour, Éric et Sandrine ont le sentiment de partager quelque chose de plus, eux qui partagent déjà leur vie depuis quelques temps. Ils se sentent compris par l’autre lorsqu’ils évoquent cette mission. « Tendre la main sans attendre rien des autres est une valeur que nous partageons avec PUI », proclame Sandrine. « Nous en sommes fiers », complète Éric. Les deux bénévoles assurent qu’ils sont prêts à repartir.

 

Témoignage de deux pompiers loirétains de retour de Beyrouth - ville dévastée

Quelles est la situation aujourd'hui au Liban ?

En avril, le Gouvernement a ordonné la démolition des silos, qui sont sur le port et en partie détruits. Mais des proches de victimes souhaitent qu'ils soient conservés pour en faire un lieu de mémoire. Leur destruction est suspendue. Pourtant, en juillet, ils se sont en partie effondrés et aujourd'hui, deux ans pile après l'explosion, deux silos se sont écroulés et le risque d'un nouvel écroulement est réel.

Par ailleurs, les Libanais souffrent : ils n'ont pas suffisamment à manger ; des coupures d'électricité peuvent durer jusqu'à vingt-trois heures ; les médicaments, l'eau potable et les carburants manquent. Les boulangeries rationnent le pain. Plus de 40 % de la population est au chômage. La livre libanaise a « perdu 95 % de sa valeur, en deux ans et le taux d’inflation moyen en juin était d’environ 210 % », informe les Nations-Unies. La crise économique est énorme.

D'après Justine Leblond de France Inter, dans son article Liban : deux ans après l’explosion au port de Beyrouth, "l'ONGéisation de la société"« ce sont les ONG qui portent à bout de bras une partie du Liban, pour la reconstruction, mais également pour la vie quotidienne ».

L'enquête sur l'explosion ouverte au Liban s'enlise au grand désespoir des habitants. Pour y pallier, des experts indépendants des Nations unies et des ONG ont appelé à l'ouverture d'une enquête internationale : « À l’occasion du deuxième anniversaire de l’explosion, nous sommes découragés de constater que les habitants du Liban attendent toujours que justice soit faite, et nous demandons qu’une enquête internationale soit ouverte sans délai ». Ils ont aussi constaté que« cette tragédie a été l’une des plus grandes explosions non nucléaires de mémoire récente, et pourtant le monde n’a rien fait pour savoir pourquoi elle s’est produite ».

Édith Combe

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