Eté 1914, le Loiret entre en guerre

Début 1914, les Loiretains, comme la majorité des Français, vivent dans un climat international relativement serein. C’est donc avec consternation qu’ils apprennent le 1er août la mobilisation générale pour le lendemain. La France se sent agressée quand, le 3 août, l’Allemagne lui déclare la guerre. Les soldats partent, avec tristesse, résolus à faire leur devoir.

Image de soldats de la guerre de 14-18 posant pour un portrait de groupe

La mobilisation s’effectue comme une fatalité, avec régularité, sans réticence ni résistance.

Une atmosphère de paix.

Dans la première moitié de 1914, l’Europe vit une paix armée fondée sur l’équilibre entre deux camps : la Duplice (Empires allemand et austro-hongrois) et la Triple entente (République française, Empire russe et Royaume-Uni). Les crises entre l’Allemagne et la France à propos du Maroc (1905-06 et 1911-12) sont réglées. Les relations franco-allemandes sont apaisées. Pour la première fois depuis 1871, un président de la République française, le lorrain et patriote Raymond Poincaré assiste à une réception à l’ambassade allemande. Aux élections législatives d’avril-mai 1914, les socialistes, réputés pacifistes, passent de 76 à 102 sièges. Les cinq députés du Loiret sont des radicaux, certes patriotes mais non nationalistes.

L’assassinat de l’archiduc héritier autrichien François-Ferdinand à Sarajevo, le 28 juin, par un jeune nationaliste serbe ne trouble pas la population essentiellement rurale du Loiret, préoccupée par les travaux agricoles de l’été. En ville, après l’ultimatum du 23 juillet de l’Autriche à la Serbie et son acceptation partielle le 25 juillet, l’opinion espère le maintien de la paix générale. En aucune manière, la nation n’est en veillée d’armes…

L’angoisse de la guerre.

Le 28 juillet, l’Autriche-Hongrie, appuyée par l’Allemagne, déclare la guerre à la Serbie soutenue par la Russie. L’opinion espère que le conflit austro-serbe reste localisé. Le 30 juillet, l’Autriche-Hongrie et la Russie procèdent à la mobilisation générale. La population voit la guerre s’approcher. Les Orléanais se précipitent en masse à la Banque de France pour échanger des billets contre des espèces métalliques, facilement négociables. Aucune protestation nationaliste. Seuls les pacifistes se manifestent. L’Union des syndicats ouvriers du Loiret, affiliée à la CGT appelle, par des affiches et des tracts, à un grand meeting contre la guerre à la Bourse du travail rue Recouvrance. Elle s’interroge : « Va-t-on faire couler le sang à torrent ? Va-t-on s’égorger ? Estimez-vous que l’humanité est tombée si bas qu’il n’y ait plus qu’à courir au charnier ? » et elle exhorte : « Travailleurs, penseurs et tous ceux que l’avenir de l’humanité préoccupent, en face des évènements qui se précipitent, devant tant de crimes prêts à s’accomplir, resterez-vous impassibles ? Non. »

Le 30 juillet à 20 h 30, la réunion rassemble 300 personnes, selon la police, 1 200, selon les organisateurs. Deux orateurs dénoncent le péril de la guerre dû à l’engrenage des alliances et affirment leur accord avec le gouvernement pour le maintien de la paix. À l’unanimité est voté un ordre du jour dont certaines phrases sont prémonitoires : « Les partisans de la paix… considérant qu’une guerre européenne serait un défi lancé à l’humanité… qu’avec les armements modernes, il en résulterait un massacre et des scènes de carnage comme l’histoire n’en aurait jamais enregistrés… qu’il en découlerait des haines entre les peuples, haines qui ne seraient pas prêtes de s’éteindre… décident de consacrer tous leurs efforts et toutes leurs énergies pour le maintien de la paix. »

Dans les campagnes, la population espère, jusqu’au bout, que la crise redoutable peut être ajournée. Lorsque dans la nuit du 30 au 31 juillet, une dépêche du préfet ordonne aux maires de faire rentrer immédiatement les militaires de permission et d’avertir la population qu’on va réquisitionner les chevaux à bref délai, c’est une véritable terreur… Surviennent, le 1er août, la mobilisation générale de l’Allemagne et sa déclaration de guerre à la Russie. Dans l’après-midi, la France annonce sa mobilisation générale pour le lendemain. Partout c’est un moment lugubre. La stupeur s’empare de la population…

L’union sacrée.

Et pourtant la mobilisation s’effectue comme une fatalité, avec régularité, sans réticence ni résistance. L’idée de revanche pour récupérer l’Alsace-Lorraine n’agite pas les esprits. Mais très vite, après la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France le 3 août, l’opinion est convaincue que la France est victime d’une agression allemande. Des hommes, qui n’étaient pas favorables à la guerre, quittent, consternés, leurs familles, mais résolus à faire leur devoir. Contrairement à une légende encore tenace, ils ne partent pas exaltés pour une guerre courte, fraîche et joyeuse, ils sont simplement décidés et déterminés. Aussi, le 4 août dans un message au Parlement, le président de la République, Raymond Poincaré évoque l’Union sacrée de tous les Français pour la défense de la patrie. Une fois la guerre éclatée, une certaine exaltation patriotique, voire nationaliste se manifeste.

À Orléans, des commerçants d’origine allemande sont hués et leurs boutiques mises à sac par la foule. À la gare, les trains embarquent les soldats qui chantent la Marseillaise. Le 5 août, selon un témoin, lorsque le 131e régiment d’infanterie s’approche pour prendre son train, « la musique joue le Chant du départ et tous les soldats fleuris de bouquets chantent avec la musique. Un flot immense de peuple les entoure et les déborde et chante avec eux. Eux sont joyeux… veulent être joyeux. Vrai les cœurs chavirent. On ne sait plus, on frisonne, on sanglote. Les épouses, les mères, les fiancées se jettent au cou des soldats. L’émotion est au comble. Avec le 131e, c’est le cœur d’Orléans qui s’en va… ». Beaucoup sont dans le même état d’esprit que l’orléanais Charles Péguy qui, quittant Bourg-la-Reine pour être lieutenant au 276e régiment de ligne, écrit : « Je pars soldat de la République pour le désarmement général, la dernière des guerres… ». Péguy sera tué le 5 septembre prés de Villeroy (Seine-et-Marne) lors de la bataille de la Marne… Et la guerre durera encore quatre ans…

Jean-Marie Flonneau

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